"Dis Linette, pourquoi as-tu de si grandes oreilles ?"

La suite de l'histoire vous la connaissez :


"C'est pour mieux t'écouter..."

Depuis trois ans, j'anime régulièrement des ateliers cheval à visée thérapeutique pour un EHPAD (Etablissement Hébergeant des Personnes Agées Dépendantes). Atelier "cheval" n'est pas le terme tout à fait approprié, puisque dans mon équipe d'équidés, il y a une ânesse, Linette, qui revendique sa particularité...

Voici donc ce qui s'est passé un jour de printemps. Le groupe de quatre résidants arrive en minibus avec leurs accompagnants. J'accueille chacun des arrivants en leur expliquant le déroulement de la séance : faire connaissance avec les chevaux et l'ânesse, leur dire bonjour, les caresser, les brosser, les promener, leur donner à manger... Mais d'emblée un membre du groupe, que j'appellerai Monsieur Jean, manifeste son mécontentement. Agressivement il me dit : "Tu m'as vu moi, il n'est pas question que je reste ici". Monsieur Jean est une personne qui souffre de la maladie d'Alzheimer. Il présente des troubles du comportement avec une agressivité verbale qui se manifeste par des injures, des accusations, un refus de coopérer... Tout le début de la séance il ne cherche qu'à partir et nous adresse toutes sortes de "noms d'oiseaux". Il s'isole du groupe.

Quand Linette spontanément s'approche et se place devant lui. Et Monsieur Jean de commencer une longue conversation avec elle où il lui assure que elle, il l'aime bien, qu'elle est gentille, mais pas les autres (c'est-à-dire nous, les autres humains) ! De temps en temps une petite tape amicale vient ponctuer ses déclamations. Linette ne le quitte pas. Qu'est-ce qui fait que Linette s'est approchée et reste près de lui ? Je ne sais pas. Peut-être parce que les autres personnes s'occupaient des chevaux et que personne ne s'occupait d'elle ? Mais ce que j'ai pu observer c'est qu'elle l'écoutait, je voyais ses grandes oreilles tournées vers lui. Et oui, les ânes, comme les chevaux, ont des oreilles mobiles qui peuvent se mouvoir de tous les côtés. Dressées et portées vers l'avant, elles expriment une écoute, une attention et dans ce cas présent, c'était l'attention à Monsieur Jean. Je ne peux que supposer que Monsieur Jean se sentait entendu. Un lien entre eux s'est établi puisque ni l'un, ni l'autre ne se quittaient du regard. Et l'expression de sa colère à un être vivant, Linette, a permis à ce monsieur de trouver de l'apaisement. Il faut dire que Linette, en plus de ses grandes oreilles,  porte à la fois cette qualité d'être particulièrement sociable et cette attitude naturelle de non jugement qui en fait une écoutante exceptionnelle.

Même si au moment du départ, il était le premier à monter dans le véhicule tout en continuant à maugréer, je voudrais vous partager ce qu'il m'a dit avant de partir. Bien calé en face de moi, et les yeux mouillés de larmes, c'est avec émotion qu'il m'a partagé ses souvenirs d'enfance passée dans la ferme de son oncle "Tu sais moi, les chevaux je les ai connus bien avant toi..." J'étais touchée et heureuse de le voir ainsi, bien ancré à la fois dans son vécu passé et dans l'ici et maintenant, en relation avec moi. Instant magique qui nous fait rester humain malgré la tourmente de la maladie. Merci Linette ! Merci Monsieur Jean !


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